Interview au Figaro : "Pour sauver la Nation française, il faut défendre la civilisation européenne"
Ce samedi et à une semaine des élections européennes, je donne, dans un grand entretien au Figaro, ma vision de ce que doit être la France dans l'Europe.
La passe d’arme entre Henri Guaino et Alain Juppé a révélé au grand jour les divergences de fond qui peuvent exister sur l’Europe à l’UMP. Quel est votre point de vue ?
Si l’on écoute toutes les sensibilités de l’UMP s’exprimer sur l’Europe, on y retrouve un tronc commun de convictions et de propositions suffisamment large pour que nous puissions mener campagne ensemble. Ceci dit, des opinions diverses ont toujours coexisté au sein de l’UMP sur la question européenne. Ce n’est pas moi qui ai voté « non » à Maastricht qui jetterai la pierre à Henri Guaino parce qu’il exprime une opinion personnelle. En revanche ma seule critique, c’est cette attaque blessante sur la personne d’Alain Lamassoure. Alain occupe au parlement européen une fonction essentielle, précieuse pour notre pays et notre famille politique. Il connaît mieux que personne les faiblesses du fonctionnement de l’Europe et il fait campagne pour y remédier. C’est ce qui a justifié mon soutien à sa candidature comme tête de liste en Ile-de-France.
Mais il existe malgré tout à droite dans l’opinion de vraies divergences sur la question européenne…
Indéniablement, mais elles sont parfois fondées sur de mauvais arguments. Un grand nombre de Français rejettent l’Europe parce qu’ils pensent qu’elle est coupable de tous leurs maux. Trop de responsables politiques se défaussent sur l’Europe de leurs propres insuffisances, du refus de l’effort, de l’absence de volonté de réforme nationale.
Certes, mais Bruxelles a une influence sur notre politique économique et sociale.
Commençons par balayer devant notre porte. Le chômage élevé en France ne doit rien à la politique européenne. Il doit tout à l’absence d’investissement entravés par une fiscalité trop élevée, un coût du travail excessif, des dépenses publiques trop importantes et à la folie des 35 heures qui, à ma connaissance, n’ont jamais été imposées par l’Union Européenne ! Je combats l’idée selon laquelle les responsables politiques ont perdu le contrôle du destin de leur nation.
Et sur la politique migratoire…
L’excès d’immigration sur notre territoire est avant tout le résultat d’un accès trop facile aux prestations sociales avant d’être la conséquence d’un laxisme européen. Rien n’empêche la France de décider demain de réserver les prestations sociales à des étrangers en situation régulière, ayant un contrat de travail et travaillant en France depuis au moins un an. Croyez-moi, dans cette configuration, notre territoire deviendrait moins attractif ! Prenez l’exemple de la Grande Bretagne. Elle ne participe pas à la zone de libre circulation des personnes et a les mêmes problèmes d’immigration que nous. Les Etats- Unis ne sont pas dans l’Union Européenne et sont confrontés eux-aussi à de graves problèmes d’immigration.
La France est coupable et l’Europe innocente ?
Tout est lié. Si l’Europe fonctionne mal, ce qui est incontestable, elle ne fonctionne pas plus mal que nos propres États ! En outre, les dysfonctionnements de l’Europe ne doivent pas nous conduire à rejeter et à détruire ce que deux générations d’Européens ont construit avec beaucoup de courage et tant de résultats. Y-a-t-il aujourd’hui dans le monde une zone où les libertés individuelles, la coexistence pacifique, l’alliance de la Foi et de la Raison existent comme en Europe, et où encore les inégalités sont les moins criantes ? L’Europe a des défauts, j’en conviens. Ils demandent à être corrigé. Mais ne lui imputons pas les défaillances de ses Etats et en particulier le nôtre.
Vous aviez voté « non » à Maastricht il y a 22 ans. Comment s’est faite votre évolution sur l’Europe ?
Je ne regrette rien de ce vote qui marquait ma défiance à l’égard d’un partage de notre souveraineté nationale sans garanties politiques pour piloter la monnaie unique. Je remarque d’ailleurs que beaucoup des critiques que nous formulions avec Philippe Seguin se sont révélées pertinentes.
Je reste profondément attaché à la nation Française et je pense que ceux qui veulent l’effacement des nations sont aussi irresponsables que ceux qui veulent sacrifier l’Europe. Mais des éléments décisifs ont changé depuis 1992 et m’ont fait évoluer. Le continent Asiatique est en train de prendre le leadership de l’économie mondiale. Le désordre politique lié à l’effacement de la domination américaine s’installe dans de nombreuses parties du monde. Le Moyen Orient est dans une situation pire qu’il y a vingt ans, une partie de l’Afrique est en guerre. Les printemps arabes vivent une phase chaotique. Les relations russo-européennes se dégradent et les conflits territoriaux en Asie se multiplient. Bref, nous sommes confrontés à une montée des périls à la fois économique et sécuritaire qui commandent de renforcer la solidarité européenne.
Est-ce aussi l’exercice du pouvoir qui a modifié votre vision ?
Pendant cinq ans, j’ai été confronté aux faiblesses de notre économie et à la montée de nos concurrents. Cela a forcément nourri ma réflexion politique. Quand on perd un marché des centrales nucléaires au profit de la Corée, quand on se rend en Chine pour visiter une somptueuse université de 50 000 élèves ingénieurs, on prend la mesure des nouvelles forces en présence. Quand les joyaux de la recherche et de l’innovation Française TGV, avion, centrale nucléaire, chantiers navals souffrent de la concurrence des pays émergents, on réalise que notre pays ne peut se défendre seul. Lorsque la France dominait le monde, elle pouvait aisément imposer ses vues. Aujourd’hui on est dans la situation inverse.
Tout ceci conduit à reconsidérer le sort de la France dans la mondialisation et me ramène à l’objectif initial de mon engagement politique : l’attachement à la nation Française dans ce qu’elle a d’unique et d’exceptionnel. Aujourd’hui son avenir et la préservation de notre mode de vie ne sont plus assurés pour des raisons à la fois économiques et géopolitiques. Ma conviction, c’est que la meilleure façon de défendre la nation française, c’est de défendre la civilisation européenne.
Pendant la crise l’Europe a—t-elle été décisive ?
Au départ, les institutions européennes n’ont pas fonctionné. La Commission n’a pas réagi mais la solidarité européenne a été, effectivement, décisive. Si l’Allemagne avait refusé la proposition franco-britannique de garantir les dépôts bancaires, l’économie européenne se serait effondrée. La gestion de la crise du quinquennat précédent a démontré que la volonté politique pouvait prévaloir sur les règles institutionnelles quand c’était nécessaire.
Cela nous ramène à la question du poids et de la détermination des dirigeants européens. L’Europe doit être conduite par des hommes et des femmes qui ont une crédibilité et une visibilité internationales. Nous en sommes loin. Le processus de désignation du président de la commission est flou et personne n’en a la même interprétation. Les candidats sont peu discernables et la France n’en a même pas un à promouvoir !
Avec le recul quel bilan faites-vous de la monnaie unique ?
L’un des acquis de l’Europe, c’est sa monnaie. Elle présente de nombreux avantages et quelques inconvénients. Elle nous a donné des taux d’intérêts extrêmement bas, une stabilité monétaire unique dans notre histoire, l’absence d’opération de change pour les entreprises à l’intérieur d’une zone qui représente dix-huit pays et qui reste sans doute la première puissance économique du monde en PIB cumulé. Enfin, c’est une protection efficace pour les épargnants qui n’ont pas à craindre de dévaluations.
Mais l’Euro n’a pas que des avantages
Oui, l’Euro crée une fragilité liée à la différence de niveau de développement des pays qui la composent. C’est d’ailleurs ce qui m’avait fait voter contre l’euro à sa création. Cette fragilité appelle une réforme de la politique monétaire mais pas une sortie de l’euro. Elle doit nous inciter à une harmonisation de la fiscalité, à des règles budgétaires et d’endettement communes.
Manuel Valls, et pas seulement lui, affirme que l’euro est trop fort
C’est l’autre inconvénient de l’Euro. Souvenons-nous toutefois qu’avant l’Euro c’était l’impérialisme du dollar qui écrasait l’économie mondiale et qui attirait tous les investissements. Contre toute attente on a construit une monnaie qui défie le dollar et qui est devenue une monnaie de référence, de réserve. Il est toutefois incontestable que la rigidité de la politique monétaire européenne mériterait d’être corrigée. Comment ? Je propose et je défends la création d’un directoire des chefs d’Etats et de gouvernement de la zone euro qui piloterait des réformes majeures dont l’harmonisation budgétaire. Le jour où la zone euro sera mieux dirigée et plus homogène, alors nous pourrons mieux articuler politique économique et politique monétaire.
Quelle serait la méthode ?
Ce directoire n’exige pas de réforme institutionnelle mais représente un saut dans une Europe différente. J’estime qu’élargir l’Europe à 28 États-membres était nécessaire. Ceux qui rejettent l’élargissement ne mesurent pas le désordre politique et sécuritaire qui existerait à nos frontières si nous ne l’avions pas réalisé. Cette Europe à 28 qui nous apporte la stabilité et la paix ne doit pas être regrettée, mais ma conviction c’est qu’elle ne pourra pas progresser davantage. Il faut la laisser vivre avec les règles actuelles.
Mais, il faut créer au cœur de cette Europe un ensemble plus intégré autour des 18 pays de la zone euro. Le directoire réunirait tous les mois leurs chefs d’État et de gouvernement. Un secrétariat permanent veillerait à la mise en œuvre de l’harmonisation des politiques économiques et budgétaires.
Ne s’agit-il d’un pas vers le fédéralisme ?
Tant que les politiques sont conduites par des chefs d’Etat et de gouvernement, contrôlés par leur propre parlement, on ne peut pas parler de fédéralisme. Se doter, en cinq ans, d’un impôt sur les sociétés à taux unique, en quinze ans de taux de TVA et d’une fiscalité sur le capital harmonisés pour les pays de la zone euro, ce sont des objectifs qui n’ont rien à voir avec le fédéralisme.
Comment jugez-vous l’état de la relation franco-allemande ?
La question du couple Franco-Allemand reste centrale. Aucune évolution de l’Europe ne sera possible sans une entente franco-allemande étroite. Nos 2 nations ont créé l’Europe et elles représentent plus de la moitié de l’économie européenne.
L’écart continue de se creuser entre les deux pays…
La distorsion s’aggrave de façon dangereuse. Le taux de chômage en Allemagne est de 5, 5% contre plus de 10% en France. L’excédent de la balance commerciale de l’autre côté du Rhin est de 180 milliards, la nôtre est déficitaire de 70 milliards. En Allemagne, près de 45 millions de personnes travaillent, en France ils sont 25 millions. Notre dette s’élève à plus de 95% du PIB et va probablement atteindre 100% alors que l’Allemagne doit être à 70%. Le fossé n’est pas seulement dû à la politique de François Hollande mais il se creuse de façon spectaculaire depuis deux ans.
Tant que notre nation restera championne d’Europe des impôts et des dépenses publiques, tant que sa productivité restera défaillante, alors nos chances d’assurer notre leadership européen resteront faibles. Tant que la France n’aura pas retrouvé sa crédibilité économique et financière, aucune des réformes et des progrès de l’Europe que j’évoque ne seront possibles. Oui l’Europe nous est nécessaire, sous réserve que la France soit debout et non à genoux.
C’est pourquoi l’enjeu principal de cette élection européenne pour nous Français est aussi national. Le résultat des municipales a consacré le rejet massif de la politique de François Hollande. Visiblement, il n’a pas compris le message. L’enjeu du 25 mai, c’est de franchir un pas supplémentaire vers l’alternance. Seule une alternance fondée sur un programme de rupture et une méthode d’exécution sans précédent depuis 1958 permettra de remettre la France debout. Seule une France forte pour entrainer l’Europe.
Que pensez-vous du traité transatlantique ?
Chaque campagne européenne voit naître une polémique de ce type. Nous avons eu les accords du GATT, la directive Bolkestein et cette fois le traité transatlantique. La commission semble faire preuve sur ces sujets là d’une autonomie sans limite qui est contraire aux intérêts de nos Etats. Il faut cadrer son mandat. La France a déjà été confrontée à ces cas de figure et a su s’y opposer. Souvenons-nous du général De Gaulle et de la politique de la chaise vide ou d’Alain Juppé bloquant les accords de Blair House. Il faut que notre pays fasse entendre une voix nette sur cet accord d’échange transatlantique.
Que vous inspirent les moqueries des ministres Russes sur « l’Europe décadente ? »
Dans le conflit ukrainien, la Russie incarne une force, et l’Europe une faiblesse. Si la France et l’Allemagne avaient pris en main les négociations avec la Russie au début de la crise ukrainienne nous aurions avancé depuis longtemps. Poutine constate, année après année, que les portes de la négociation économique avec l’Europe se ferment et que l’Otan se rapproche des frontières de la Russie. En laissant les Américains piloter le dialogue avec Moscou, les Européens ont donné le signal de leur effacement. Sur l’Europe décadente, en revanche, il s’agit de propos de propagande. Le fonctionnement de nos démocraties européennes n’a pas de leçon à recevoir des autorités russes, notamment sur le plan des libertés individuelles. Et si l’on pense aux valeurs chrétiennes que Vladimir Poutine aime à invoquer, les journées mondiales de la jeunesse ou la récente canonisation de Jean Paul II et Jean XXIII témoignent de leur vitalité en Europe.