Mesdames et messieurs,
C’est un plaisir pour moi de pouvoir ouvrir ce colloque, dont je veux vous dire que les éclairages vont nous être extrêmement précieux au moment où nous entamons une réforme profonde de notre fiscalité du patrimoine.
Comme vous avez pu le constater, nos réflexions se précisent de jour en jour et nous allons bientôt, dans quelques semaines, prendre avec les parlementaires qui ont souhaité cette réforme, qui sont à l’origine de cette réforme, et qui travaillent depuis plusieurs semaines avec François BAROIN, des décisions.
Cette réforme ça n’est pas une réforme de circonstance. Elle s’inscrit dans la continuité de l’action que nous avons engagée depuis 2007. C’est en réalité une étape supplémentaire que nous voulons franchir. Notre politique fiscale répond à deux enjeux fondamentaux : la compétitivité de notre économie et l’équité.
Le constat est connu, et les comparaisons internationales le rappellent d’année en année, la France souffre depuis longtemps d’un taux de prélèvements obligatoires élevé, supérieur à la moyenne européenne et en particulier à notre voisin allemand. Cela pèse sur notre compétitivité, cela pèse sur nos emplois, cela pèse sur le pouvoir d’achat de nos concitoyens.
En même temps, nos marges de manœuvre sont réduites par la nécessité de réduire notre déficit public et notre endettement. Pour baisser les impôts à terme, nous devons en priorité baisser nos dépenses. Et baisser nos dépenses consiste à poursuivre la réforme de notre organisation publique. Cette ambition nous anime depuis 2007 et nous poursuivrons dans cette voie. Mais à défaut de pouvoir diminuer autant que nous le souhaiterions le niveau général de nos prélèvements, nous pouvons agir sur leurs structures pour les rendre plus lisibles, plus efficaces, plus favorables à l’activité et à la croissance.
Pour mettre notre fiscalité au service du travail, de l’innovation, de l’investissement, nous avons défiscalisé les heures supplémentaires, nous avons triplé le crédit impôt recherche et nous avons supprimé la taxe professionnelle.
Pour soutenir le redressement de nos finances publiques, sans céder à la facilité d’une hausse généralisée des impôts, nous avons réduit les niches fiscales et sociales et nous poursuivrons dans cette voie.
Pour limiter la concurrence déloyale des paradis fiscaux, nous avons obtenu du G20 qu’il s’attaque enfin à ce problème, et nous avons nous-mêmes adapté notre arsenal juridique.
Notre ambition ne s’arrête pas là. Nous devons poursuivre nos efforts pour redonner de la simplicité et de la stabilité à un système d’imposition devenu trop complexe. C’est pour en limiter le foisonnement et c’est pour en rétablir la cohérence que nous proposons de modifier la Constitution pour confier aux lois de finances le monopole des décisions fiscales. Et d’ailleurs, sans attendre l’inscription de cette règle dans notre Constitution, j’ai imposé aux membres du gouvernement le respect de cette discipline depuis le printemps dernier.
Nous devons continuer à apporter à notre fiscalité les adaptations dont elle a besoin pour mieux répondre aux exigences de compétitivité et d’équité qui sont les nôtres. Nous continuons de croire, malgré le revers constitutionnel que nous avons essuyé l’an dernier, que la fiscalité doit contribuer à l’atteinte de nos objectifs environnementaux et qu’elle pourrait de cette manière, nous fournir des marges de manœuvre pour alléger la taxation du travail.
Nous sommes également persuadés qu’il faut avancer dans le sens d’une plus grande convergence fiscale au plan européen.
Le rapport que la Cour des Comptes remettra demain au Président de la République concernant la comparaison des prélèvements fiscaux et sociaux en France et en Allemagne éclairera les réflexions que nous aurons à mener pour réduire notre écart de compétitivité.
Puis, le rapport conjoint qui sera élaboré avec le Ministère des Finances allemand nous aidera à progresser dans le sens d’une convergence fiscale plus grande entre nos deux pays et au sein de l’Union européenne. On a réussi par le passé à le faire pour la TVA, il faut aujourd’hui que nous y parvenions pour l’impôt sur les sociétés dont nous devons en premier lieu harmoniser l’assiette, avant peut-être d’envisager les taux.
La fiscalité fait partie intégrante des réflexions que nous menons sur la gouvernance économique de la zone euro, c’est tout le sens du pacte de compétitivité qu’avec nos partenaires allemands nous avons proposé pour l’Union européenne. Et la réforme de l’imposition sur le patrimoine est un élément de plus dans cette stratégie qui concerne l’ensemble de notre fiscalité.
La fiscalité des ménages comme celle des entreprises jouent un rôle essentiel dans la compétitivité d’une économie et dans l’attractivité d’un pays. Mais la dimension morale et sociale y est aussi particulièrement forte, et toute réflexion doit la prendre en compte.
La fiscalité est pour ainsi dire une passion française très ancienne. Elle est intimement liée à notre histoire, et aux grands bouleversements politiques qui l’ont jalonnée.
Elle accompagne l’émergence de l’Etat au temps de Philippe LE BEL qui est à l’origine des premières formes d’imposition sur le patrimoine et toute la fiscalité de l’ancien régime sera essentiellement une fiscalité sur le patrimoine.
On sait que le sentiment d’injustice créé par une imposition inégalitaire, brouillonne et étouffante, a été une cause décisive dans le déclenchement de la révolution de 1789. En mettant fin aux privilèges, la République instaure le principe de l’égalité devant l’impôt. Alors, la fiscalité n’est plus seulement une ressource financière au service de la puissance de l’Etat, elle répond aussi à une exigence de justice et de cohésion au sein du corps social.
Le système d’imposition mis en place par la Révolution reste pourtant axé sur le patrimoine avec les « quatre vieilles ». Et tout le débat fiscal au 19e siècle portera sur le passage à un impôt sur le revenu dont l’idée émerge comme une revendication du progressisme républicain en 1848, puis en 1870, même si c’est seulement en 1914, et grâce à un Sarthois, que le premier impôt sur le revenu verra le jour en France.
Nos débats héritent de cette longue histoire qui fait de la fiscalité un sujet éminemment politique. En affirmant que la contribution commune doit être « également répartie entre tous les citoyens en raison de leur faculté », la déclaration des Droits de l’Homme de 1789 en appelle au sens de l’équité, plus qu’elle n’affirme une ambition égalitariste.
Elle laisse ouverte sur le fondement du principe qu’elle énonce, une pluralité de réflexions et de choix politiques.
Qu’est-ce, au fond, que la justice fiscale ? Est-ce que c’est l’équité ? Est-ce que cela consiste à réduire les inégalités par le biais de l’imposition ? Ou bien, est-ce prendre garde à ne pas pénaliser le travail dont le fruit légitime est la constitution d’un patrimoine que l’on souhaite transmettre à ses enfants ?
On sait bien qu’entre ces deux options, la confrontation est d’abord idéologique, même si elle n’est pas toujours très logique.
Mais on sait aussi que la réalité impose de définir un équilibre, qui tienne compte de l’une et de l’autre exigence. Nous ne devons pas opposer la création de richesses et la cohésion sociale. Nous ne devons pas opposer la valorisation du travail de chacun et la solidarité nationale.
C'est cet équilibre que nous recherchons au moment de réfléchir à un impôt sur le patrimoine, qui soit plus intelligent, plus juste, plus en phase avec les réalités économiques actuelles. Nous entreprenons un travail de fond, sur un sujet sensible, dont il faut bien dire qu’il a, pendant plus de vingt ans, tétanisé les responsables politiques. Il est d’autant plus nécessaire d’agir que nous payons depuis trop longtemps les conséquences de cette paralysie. Il est vrai que les débats sur la fiscalité sont difficiles, ils sont difficiles parce qu’ils touchent à l’histoire, aux valeurs, au sentiment éprouvé par chacun de ce qui est juste et de ce qui est injuste. Nous ne les esquivons pas.
Comme la création de l’impôt sur les grandes fortunes, en 1981, le bouclier fiscal a déchaîné les passions. En 2007, nous avions choisi d’abaisser ce bouclier à 50% parce qu’il nous apparaît comme un principe de bon sens que personne ne reverse plus de la moitié de ses revenus à la collectivité. Nous l’avions fait aussi pour protéger des ménages modestes qui doivent parfois faire face à des taxes foncières et à des taxes d’habitation très élevées, au regard de leurs revenus.
Mais nous devons regarder la vérité en face, le bouclier fiscal a été mal compris, et sans doute la crise que nous avons traversée a-t-elle rendu nos concitoyens plus sensibles à certains de ses effets. Depuis 2007, nous avons eu le courage de réformer, nous devons aussi avoir le courage d’ajuster notre bilan et d’être à l’écoute de l’opinion.
Nous avons voulu répondre aux attentes qui se sont exprimées, mais je veux vous dire que nous ne le ferons pas en revenant en arrière. Nous le ferons en maintenant le cap des réformes, en supprimant le bouclier fiscal, nous voulons en même temps supprimer les raisons qui avaient rendu nécessaire son instauration. Et donc nous voulons mettre fin au défaut de l’ISF dont le bouclier était le remède imparfait.
Mais quel que soit le choix que nous ferons, je voudrais souligner deux choses.
La première, c'est qu’il n’est pas question de toucher au Livret A, à l’assurance-vie du petit épargnant ni à aucun des placements des ménages qui ne sont pas à l’ISF aujourd’hui. Je veux le dire solennellement devant vous, cette réforme ne les mettra en aucune façon à contribution. En revanche, elle devrait permettre de sortir de l’imposition sur la fortune les 300.000 foyers qui y sont entrés depuis dix ans essentiellement à cause de la flambée des prix de l’immobilier.
La seconde, c'est que nous ne financerons pas cette réforme par la dette, l’équilibre budgétaire sera rigoureusement respecté.
Cette réforme, nous la mènerons en étant fidèles aux valeurs qui sont les nôtres depuis 2007. Parce que nous voulons encourager l’accession des Français à la propriété, nous ne taxerons pas les plus-values de cession de la résidence principale. Parce que nous voulons que chacun puisse transmettre à ses enfants le fruit de son travail, nous ne reviendrons pas sur l’allègement des droits de succession que nous avons décidé en 2007. Parce que nous voulons affirmer la valeur du travail, nous ne souhaitons pas instaurer une nouvelle tranche marginale qui ouvrirait la voie à un alourdissement de l’impôt sur le revenu. Et parce que nous voulons que la fiscalité soit au service de notre économie, nous veillerons à ce que cette réforme encourage le financement des entreprises et ne remette pas en cause les dispositions favorables à leur détention et à leur transmission.
Depuis le début du quinquennat, nos ambitions sont restées les mêmes : encourager l’activité, stimuler la croissance, retrouver le chemin de l’emploi. Vos réflexions montreront aujourd’hui comment la fiscalité du patrimoine est pour cela un levier essentiel, la période électorale qui s’annonce ne nous incline pas à l’attentisme, elle ne nous détourne pas de notre but, qui est de continuer à réformer la France pour favoriser le dynamisme de notre économie.
A gauche, certains en appellent aujourd’hui à la révolution ou grand soir fiscal, et comme d’habitude, l’imagination pour réinventer et multiplier l’impôt est beaucoup plus grande que pour baisser les dépenses.
Sur le papier, l’égalitarisme peut toujours trouver des adeptes, mais l’injustice, ça n’est pas seulement l’inégalité, l’injustice, c’est aussi le découragement du travail, le découragement du mérite et du talent.
Je veux vous dire qu’avec le Président de la République, nous ne voulons pas d’une France où ces valeurs seraient découragées. C’est une question d’ambition nationale, parce qu’une fiscalité trop lourde pèse inévitablement sur notre compétitivité et donc sur l’emploi, c’est aussi une question de principe, je dirais même de philosophie. Il y a quelque temps, en proposant de réfléchir sur l’égalité réelle, le Parti socialiste se plaçait sous le signe Gracchus BABEUF. Au nom de ce slogan, on se souvient que ce révolutionnaire militait pour instaurer un mode de vie identique à tous.
Eh bien, nous ne voulons pas d’une France où les classes populaires ne pourraient plus rêver d’accéder au statut des classes moyennes et où les classes moyennes au statut des classes supérieures. Notre réflexion sur l’imposition du patrimoine nous renvoie aux valeurs de notre famille politique, et elle nous reconduit aussi aux fondements de notre République.
Mesdames et Messieurs, je mesure la complexité des enjeux qui s’entrecroisent, et je vous invite maintenant à les confronter en toute liberté. J’attache une grande importance aux analyses que vous proposerez à travers ce colloque, je suis convaincu qu’elles éclaireront les décisions que nous allons prendre dans les prochaines semaines.