Beaucoup de commentaires sur ce blog évoquent la réforme des retraites. Le plus souvent pour en critiquer l’insuffisance. J’ai répondu partiellement à ces critiques infondées.
Je vais le faire plus complètement aujourd’hui en publiant un article que j’avais commis pour une revue en 2005 :
La réforme des retraites
« Moins d’actifs, plus de retraités : on fait comment ? »
Dans notre débat public, dont les enjeux apparaissent à nos concitoyens de plus en plus complexes, existe-t-il au fond une question aussi simple que celle de l’avenir de notre système de retraite ?
Depuis plus de dix ans, du Livre blanc de Michel Rocard au Conseil d’orientation des retraites créé par Lionel Jospin, la situation avait été analysée avec une grande précision, pour aboutir à deux constats simples. Premièrement, le choc démographique, avec l’arrivée à la retraite des générations nombreuses nées après guerre, est inexorable, la croissance et le chômage constituant des paramètres finalement secondaires pour amortir ou au contraire accentuer les déséquilibres financiers des régimes. Deuxièmement, compte tenu du fait que le financement d’un régime de retraite par répartition repose sur les trois outils que sont la durée de cotisation, le montant des pensions et le taux des cotisations, l’allongement de la durée de cotisation est le paramètre de réforme le plus juste. Elle seule permet en effet de garantir un montant de pension satisfaisant pour les retraités et d’éviter le report d’une charge trop écrasante sur les actifs de demain.
L’allongement de l’espérance de vie est l’autre grande donnée –particulièrement heureuse !- du choc démographique. Depuis les années 1930, l’espérance de vie a augmenté de 18 ans pour les hommes et de 21 ans pour les femmes. A 60 ans, nous ne serons bientôt qu’aux deux tiers de notre existence.
Cette donnée n’avait jamais été prise en compte dans le financement des retraites. Le mécanisme principal de la réforme consiste ainsi à maintenir inchangé, à l’horizon 2020, le partage actuel entre vie active et retraite. Le temps de la retraite continuera à augmenter et à bénéficier des gains d’espérance de vie. Mais le temps de vie active pour financer les retraites devra augmenter aussi, pour atteindre une durée proche de 42 ans en 2020.
Sur cette base, et compte tenu des avancées sociales représentées par la réforme, « un compromis acceptable » a pu être trouvé avec une partie des forces sociales. C’est le premier succès et la première originalité de la réforme, notamment par rapport à celle de 1993 portant sur le seul régime général.
Pour autant, la réforme des retraites de 2003, révélant les « nœuds de la France » et les défis à surmonter, fut loin d’être une réforme facile. J’y vois au moins quatre explications.
La réforme nécessite de se projeter dans l’avenir.
Le vieillissement va bouleverser la société française dans toutes ses dimensions. La réforme a pourtant été jugée trop souvent à l’aune de la situation de 2003, alors que les principales mesures s’appliqueront très progressivement. L’attachement d’aujourd’hui des Français au départ précoce, avant même 60 ans, aura-t-il le même sens en 2020, et a fortiori en 2040, dans une France où se côtoieront deux ou trois fois plus de seniors et où le regard porté sur les personnes âgées ne sera nécessairement plus le même ?
C’est pour cette raison que j’ai plaidé pour une « réforme en continu ». L’avenir de nos régimes de retraite ne saurait être décidé une bonne fois pour toutes et mérite des rendez-vous réguliers, le rythme de la législature apparaissant comme suffisant pour ajuster notre système.
C’est également pour cette raison que j’ai insisté pour que les régimes s’engagent dans la voie d’une harmonisation de leurs différents systèmes informatiques, afin de pouvoir fournir aux assurés une estimation de leurs droits à retraite. La loi crée à cet effet un groupement d’intérêt public, mis en place le 1er juillet 2004.
La question des retraites est intimement liée à celle du travail
Comme les crispations autour de l’allongement de la durée de cotisation l’ont montré, l’avenir de nos retraites est d’abord un débat sur la place du travail.
Plus que jamais, le travail reste au centre du développement de nos sociétés. Penser qu’on peut le réduire ou le partager, surtout avec le choc démographique qui va être le nôtre, n’aboutit qu’à laisser se contracter inexorablement l’économie française et son potentiel futur de croissance.
Le rapport Camdessus vient de le rappeler avec éclat : nous cumulons en France le triste record d’un des taux d’activité des seniors le plus bas et celui d’un des plus forts taux de chômage des jeunes, preuve s’il en est de l’échec des politiques malthusiennes.
La réforme a fixé un objectif réaliste tendant à faire passer l’âge moyen de cessation d’activité de 57,5 ans en 2003 à 59 ans en 2008. C’est pour cette raison qu’elle a recentré les dispositifs de préretraite en limitant leur portée aux métiers les plus pénibles justifiant un départ anticipé et les réserver aux plans sociaux lorsque la survie de l’entreprise est en jeu.
Pour augmenter notre taux d’activité, le défi est d’inciter le monde du travail à réinvestir l’emploi, la carrière et la formation des salariés âgés. La loi du 4 mai 2004 –créant le droit individuel à la formation- constitue ainsi le pendant indispensable de celle du 21 août 2003.
Au-delà, comme le montrent les enquêtes menées ces dernières années sur le climat social, attestant de la montée d’un sentiment de fragilisation des salariés, les entreprises auront à s’engager sur le chantier de l’organisation et des conditions de travail, deux thèmes majeurs malheureusement masqués par le débat sur la réduction du temps de travail.
La question de la justice sociale est au cœur du débat sur les retraites
La question des retraites a mis en lumière des injustices profondes.
Inégalité de durée de cotisation entre le public et le privé, garantie de montant de retraite pour les salariés les plus modestes, droit à une retraite anticipée pour les personnes ayant commencé à travailler très jeunes et justifiant d’une longue durée de carrière professionnelle et pour les personnes ayant travaillé tout en étant gravement handicapés, inégalités de traitement entre mono-pensionnés et pluri-pensionnés, condition d’âge pour bénéficier d’une pension de réversion, garantie du pouvoir d’achat pour les retraités, prise en compte des primes des fonctionnaires : tous ces sujets ont été traités par un texte de loi particulièrement riche, comprenant pas moins de 116 articles.
La réforme ne pouvait pourtant pas tout résoudre. Les Français n’auraient d’ailleurs pas accepté eux-mêmes qu’il soit mis fin, par exemple, à la diversité des régimes.
Par ailleurs, les solutions retenues, définies dans un cadre financier nécessairement contraint, n’ont toujours pas été comprises. Nous n’avions pas les moyens, par exemple, d’ouvrir plus largement le droit à la retraite anticipée, qui devrait tout de même représenter un coût financier de 630 millions d’euros en 2004 et de 1,3 milliard d’euros en 2005, et qui devrait concerner près de 500.000 personnes d’ici 2008, au moment où la branche vieillesse du régime général devient déficitaire.
Je regrette également que la réforme soit perçue -pour l’instant ?- comme étant pénalisante pour les femmes. Utilisant un sophisme réducteur (« les femmes ont une durée de cotisation plus faible que celle des hommes, donc elles sont davantage pénalisées par une hausse de la durée de cotisation »), nos pourfendeurs ont tout simplement oublié de préciser qu’allaient arriver à la retraite des générations de femmes disposant de durées de cotisation bien supérieures à celles de leurs aînées, permettant de dépasser de beaucoup l’augmentation prévue et que le montant de leur retraite allait logiquement et heureusement augmenter de manière considérable ! Ces opposants se sont bien gardés d’expliquer qu’une hausse de la CSG ou des cotisations –patronales ou salariales- aurait été beaucoup plus pénalisante pour les femmes –représentant une majorité des « bas salaires »- que pour les hommes.
Cette opinion a fait également fi de toutes les mesures favorables pour les femmes comprises dans la réforme, comme la diminution de la décote, la possibilité de cotiser sur une assiette à temps plein pour celles travaillant à temps partiel, la suppression –dans les trimestres retenus pour le calcul de la pension du régime général- de ceux ne permettant pas –en raison d’un montant trop faible- de valider un trimestre pour la durée de cotisation, et le maintien global des avantages familiaux, prenant en compte pour les femmes fonctionnaires la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes.
Enfin, l’enjeu du financement de nos politiques sociales demeure incompris
Avec un certain aplomb, les opposants de la réforme n’ont cessé de répéter -de manière simultanée- qu’ils étaient opposés à l’augmentation de la durée de cotisation et que les retraites n’étaient pas financées.
L’horizon de la réforme étant 2020, il était nécessaire de retenir un objectif pour le taux de chômage. Dans son scénario central, le COR avait retenu un chiffre de 4,5 %.
Nous avons fondé le financement de notre réforme sur un objectif de 5 % à 6 %, toujours à l’horizon 2020.
Sur un besoin de financement de l’ordre de 43 milliards d’euros pour les régimes de base du privé et du public, les mesures de redressement permettent de dégager 21 milliards d’euros. Compte tenu des mesures de justice sociale et d’équité, évaluées à 2,7 milliards d’euros, l’impact net de la réforme est de plus de 18 milliards d’euros.
En ce qui concerne le régime général, le solde représente les deux tiers du déficit prévu pour 2020 (15 milliards d’euros), soit 10 milliards d’euros. C’est par une augmentation de la richesse nationale dévolue au paiement des retraites, et donc par une augmentation des cotisations vieillesse, que ce solde est financé.
Mais, voulant assurer l’équilibre de la répartition à prélèvements obligatoires constants, la réforme prévoit de « gager » l’augmentation des cotisations vieillesse à partir de 2008 par la diminution escomptée des cotisations d’assurance chômage. En effet, avec un taux de chômage à 5 % en 2020, les recettes disponibles sont évaluées à plus de 15 milliards d’euros, ce qui est largement supérieur aux 10 milliards nécessaires.
Fallait-il, pour « financer les retraites », créer une imposition supplémentaire ou affecter dès à présent le produit d’une recette existante, au détriment d’une autre priorité ?